Cet article m’a été librement inspiré par l’excellent débat Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète ? animé par Guillaume Bagnolini de l’association Cosciences dans le cadre de la semaine du cerveau 2021, avec pour intervenants Thibaud Griessinger, docteur en sciences cognitives et chercheur indépendant dans le laboratoire ACTE, et Camille Morvan, directrice de la start-up Goshaba et experte en sciences cognitives et neuroscience.
Un débat d’1h30 passionnant tant il aborde des sujets essentiels pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui, face à l’urgence des crises environnementales et sociales qui nous menacent.
Un débat dont j’ai souhaité retranscrire 10 points clés de compréhension des freins et des leviers d’actions.
Point 1 – L’environnement occidental dans lequel nous évoluons nous réduit à un fonctionnement infantile de multiplication des plaisirs faciles et immédiats, par une consommation addictive (reseau de type facebook, publicités).
Point 2 – Individuellement, en tant qu’adulte, notre cerveau a la capacité de choisir des plaisirs différés, comme dans toutes ces activités humaines de conception, de recherche, d’audit, de philosophie, d’art ou de jardinage dont les fruits se font longuement attendre. Notre recherche de plaisir s’approfondit en recherche de bien-être.
Point 3 – Notre système économique capitaliste consumériste génère des injonctions paradoxales : adoptez les eco-gestes mais enviez ce dernier SUV ou Iphone que tout le monde se doit d’avoir (Les besoins artificiels de Razmig Keucheyan). Elles conduisent à faire porter sur l’individu toute la charge de l’inhibition de nos comportements. C’est une ‘surcharge’ en réalité insupportable : chaque individu ne peut avoir une conscience permanente et anticipée de l’impact de ses actions.
Point 4 – Cette surcharge peut donc facilement devenir culpabilisante et angoissante. L’éco-anxiété fait son apparition. La force de cette dissonance cognitive entre ce que je vis dans mon quotidien et ce qu’il faudrait changer conduit parfois au déni de l’urgence de la situation ou encore à l’inaction. Pour éviter cela, et modifier ces comportements/façons de penser qui nous sont imposés comme des automatismes, il est nécessaire d’intervenir sur notre modèle de références, via les entreprises et les politiques publiques. La sobriété ne peut s’organiser que collectivement.
Point 5 – Nous devons repenser notre vision du monde, dans la nuance, l’incertitude et la complexité (voir aussi mon article sur La culture, source de développement personnel).
Point 6 – Mais plutôt que de s’appesantir sur Comment tout peut s’effondrer de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, ou se positionner en victime de notre cerveau Le bug humain de Sébastien Bohler, il est temps de faire un pas de côté pour appréhender les problèmes autrement et promouvoir les projets qui se développent dans les interstices du système (Basculements de Jérôme Baschet, Raviver les braises du vivant de Baptiste Morizot).
Point 7 – Déconstruire nos représentations signifie en adopter de nouvelles, et redonner un nouveau sens aux mots. La sobriété énergétique et matérielle par exemple est vécue dans nos sociétés comme un sacrifice. Ne pourrait-on pas la transformer bien au contraire en vecteur de sens, de nouvelle richesse (protection de la Vie, regain de la biodiversité) et de bien-être (moins de sollicitations marketing agressives, de stress, de pollution, plus de liberté, de simplicité, retrouver notre place au sein de la Nature…). De l’importance du néologisme comme vecteur d’émancipation, voir cette excellente interview Clément Viktorovitch x Alain Damasio.
Point 8 – Toutes les générations doivent être impliquées dans l’élaboration de nouveaux modèles pour mobiliser la diversité de leurs savoirs, leurs vécus, leurs capacités d’innovation et redonner corps à la démocratie. Y compris les jeunes dès leur plus jeune âge, primaire/collège, car leurs représentations ne sont pas encore « figées ». Y compris les personnes âgées dont l’esprit peut se révéler agile et l’expérience très riche, contrairement à l’obsolescence qui leur est associée dans le monde du travail aujourd’hui.
Point 9 – Dans ce contexte, pour maximiser notre potentiel de créativité, 6 pistes d’actions
# Donner à tous un socle de connaissances commun sur le fonctionnement de notre écosystème et les données sur le climat,
# développer des espaces de concertation,
# travailler notre intelligence collective au sein d’ateliers de co-developpement,
# apprendre les bases d’un débat sain et constructif –communication non violente, échange d’arguments, écoute active et respectueuse, capacité de remise en question-,
# savoir faire le tri dans la nébuleuse informationnelle,
# coordonner et coopérer en mobilisant toutes les forces vives, et notamment tous ces jeunes des universités, écoles d’ingénieur, grandes écoles de commerce/management de mieux en mieux informés, futurs chercheurs et dirigeants du monde de demain.
Point 10 – Pour finir, j’en retiens également l’indispensable expérience sensorielle de la Nature. Nous nous en sommes extraits par peur, par égocentrisme, par volonté de domination. Aujourd’hui elle nous rappelle à l’ordre : nous sommes parties intégrante de la Nature et devons nous soumettre à ses règles du jeu. Retrouver cette humilité nous permettra peut-être d’accroitre nos capacités de résilience par mimétisme des fonctionnements de la Nature elle-même, source inépuisable de beauté et d’inspiration.
En complément de réflexion, je vous invite à découvrir cette magnifique thèse de Stéphanie Chanvallon, dont je viens d’entamer la lecture sur l’Anthropologie des relations de l’Homme à la Nature: la Nature vécue entre peur destructrice et communion intime